Source : texte repris du panneau de présentation de la Croix du Curé sur la route de Sy
De toutes les histoires relatives aux évènements survenus dans la région, c’est celle du curé de Xhignesse qui a le plus frappé l’imagination populaire. Elle s’est littéralement imprimée dans l’âme de nos villageois. En voici un résumé qui, nous n’en doutons pas provoquera le désir de mieux connaître tous les détails de cette tragique affaire.
Au préalable, disons que Xhignesse conserve une vieille église d’architecture romane primitive. Ajoutons aussi que dans Xhignesse, Xhoris, "Xhavée", le x est muet et le h est très aspiré.
Ce récit est à lire de préférence dans le cadre sauvage qui a vu se dérouler cette pénible affaire, c’est à dire dans la Xhavée (ravin) de Corneva qui aboutit à la Roche Noire.
Un dimanche d’octobre 1778, Sire Evrard Deleau, curé de Xhignesse, en pénétrant dans son église, fut stupéfait de constater que de hardis et habiles cambrioleurs avaient emporté le Saint-Sacrement ainsi que tous les objets du culte présentant quelque richesse. Afin de célébrer la messe, il fallut faire prendre à la chapelle de Hamoir tout le nécessaire. Le pasteur informa ses ouailles et termina son émouvante allocution par ces mots: "Les loups ravisseurs sont aussi de fins renards. En disant cela, son regard se porta fortuitement vers les bancs des hommes où côte à côte, se tenaient les trois frères Renard: Gilles, Michel et Jean-Joseph. Il n’en fallut pas plus pour que des soupçons prissent naissance surtout que les Renard n’étaient guère prisés des villageois à cause de leur caractère énergique et violent parce que ils avaient assez bien réussi et que leur état suscitait la bien connue jalousie villageoise.
Les langues se délièrent et l’opinion publique tenait les auteurs du vol: les Renard. (Ceci s’avéra faux car les vrais voleurs furent arrêtés plus tard et avouèrent). Les trois frères furent tenus à l’écart et se rendirent compte de la suspicion dont ils étaient les victimes.
Un profond ressentiment s’ancra de plus en plus à leur coeur vis-à-vis du curé Deleau qui, cependant, avait eu l’obligeance de préciser en chaire ce qui n’avait été que coïncidence regrettable, mais néfaste par l’interprétation qu’en avait donné la vox populi. Les Renard, en exprimant leur reconnaissance, ne furent pas sincères et les sentiments d’hostilité ne s’atténuèrent pas ..... au contraire.
En ce temps là existait à Filot, comme dans beaucoup de villages à l’époque, une "brassin", brasserie banale que les particuliers louaient suivant les besoins des familles. Le 16 novembre 1778, les Renard aidés en cela par Simon Hubin et Louis Missoul, préparaient la bière à Filot. Comme le travail se faisait jour et nuit, les prestations étaient alternatives. Les deux ouvriers devaient reprendre leu travail à dix heures du soir après un repos de trois heures. Avant leur départ, ils virent Gilles et Michel se coucher sur la paille, s’envelopper de couvertures et prendre sur place, un repos bien mérité, tandis que Jean-Joseph se mettaient à l’oeuvre. C’était la préparation d’un alibi car sitôt les ouvriers partis, les faux dormeurs se levèrent et tirèrent d’une cachette deux mannequins parfaitement façonnés aux bonnets de coton bleu pareils aux leurs. Ils s’en allèrent par une porte de derrière.
A dix heures, les deux aides rentrèrent et Jean-Joseph, montrant les dormeurs demanda le silence. Une heure après, à un signal convenu, Jean-Joseph appela les aides à l’extérieur pour leur montrer .... une étoile à queue qu’ils ne virent pas, bien entendu, sinon les "traces" dans une ciel naturellement rouge annonciateur de malheur. Pendant ce temps, les mannequins avaient disparu pour faire place aux vrais dormeurs qui sitôt les aides rentrés, manifestèrent par de bruyants bâillements et de longs étirements, qu’ils sortaient d’un profond sommeil.
Le jour même - 16 novembre 1778 - le matin, avaient eu lieu à Bomal les funérailles du curé de l’endroit, Monsieur Debras. Son confrère de Xhignesse y officia puis, à l’issue du repas offert par la famille, il devait se rendre à Barvaux où à 17 heures, on l’attendait pour une affaire importante de domaine sacerdotal. Il avait prévenu sa soeur que son retour serait donc tardif. Dans un village tout se sait. Les Renard étaient au courant et ce soir là ... le Révérend Deleau ne rentra pas.
Deux hommes l’assaillirent dès son entrée au bois de Pierreux, le brutalisèrent à mort en disant: "Tiens pour des fins renards". La pauvre victime fut transportée dans la carrière abandonnée et soigneusement recouverte de pierres. Les Renard, Gilles et Michel, croyaient avoir à jamais enseveli leur forfait. Ils avaient d’ailleurs un alibi.
Le lendemain matin, Mademoiselle Deleau ameuta la population et des recherches commencèrent. Grâce au témoignage d’une petite fille de Vieuxville, on sut que le pasteur y était repassé dans la soirée et que le champ d’investigation se réduisait au trajet Vieuxville-Xhignesse. Les Renard, comme tous les habitants, se mirent très affligés, à la recherche du disparu. Gilles proposa de prospecter le terrain de façon méthodique par va-et-vient rectilignes et parallèles. Il choisit pour son groupe la direction de la carrière se proposant de la contourner pour s’y arrêter. C’est ainsi que la nuit venue, harassés mais non découragés les chercheurs décidèrent de continuer le lendemain, en direction de l’Ourthe car tous pensaient à un accident plutôt quà un crime. Les gens rentrèrent au logis accablés et fourbus pendant que les Renard se fixaient un rendez-vous pour le soir même dans le haut du bois de Pierreux pour exécuter un projet nouveau: transporter le cadavre et le jeter dans l’Ourthe en crue.
Un habitant de Hamoir-Lassus, Jean Sadoz, s’en allait tous les matins à la petite mine de Ville et s’en revenait le soir. Très poltron de nature, il s’était fait accompagner, ce jour-là, de son petit chien. Au retour, dans la nuit, Castor grogna au moment où ils arrivaient à la crête du Pierreux - Bois. Sadoz, qu’on connaissait mieux sous l’appellation de Jean-Jean, fit taire son chien et se blottit derrière un buisson. Un homme arriva et s’adossa au tronc d’un vieux chêne , deux autres survinrent peu après. Jean-Jean plus mort que vif s’efforçait de rendre son chien muet. Les trois hommes discutèrent et ainsi se firent reconnaître: c’étaient les Renard. Après quelques atermoiements suscités par le plus jeune, Gilles les convainquit de traîner le cadavre vers la Roche Noire et de l’y jeter dans l’Ourthe. L’aîné s’en vint couper quelques baguettes au buisson même qui cachait un Jean-Jean à la limite de l’évanouissement, il en fit une hart pour traîner le corps. Ils s’éloignèrent.
Après de longues minutes d’attente, Sadoz aperçut les trois hommes traînant la massa noire. Continuant son chemin après leur passage, Jean-Jean se mit à respirer plus normalement et son coeur battit moins fort. Pas pour longtemps, car Castor aboya, ce qui jeta l’effroi bien plus encore chez Sadoz que chez les Renard qui pensèrent à un cabot en braconnage.
En longeant la crête du ravin de Corneva, le voyageur nocturne devait revoir les tueurs au moment où ceux-ci, ayant aperçu un feu au confluent décidèrent de jeter le corps dans le torrent grossi par les pluies plutôt que de risquer d’être vus par les bateliers en difficulté qui se chauffaient et réparaient les avaries à la lueur du brasier. Pour les criminels, le but serait atteint car bientôt, pensaient-ils, l’Ourthe charrierait le cadavre que le torrent allait lui céder.
Jean-Jean rentra chez lui bien plus tard que d’habitude, plus poltron que jamais et bien décidé à ne jamais dire ce qu’il avait vu et entendu.
Les recherches continuèrent, la justice fut sur pied nuit et jour, tous les habitants de la régions étaient préoccupés de cette disparition mystérieuse.
Le timoré Jean-Jean craignait les Renard et aussi de n’être pas cru s’il parlait: n’était-il pas le seul témoin ? Sa conscience fut torturée, il en devint malade. Parfois, il voyait le fantôme de l’abbé Deleau lui reprocher son silence.
Un jour d’été, sa femme, ayant fait paître ses deux vaches et son veau dans un bois du chevalier de Donéa, fut prise sur le fait par un garde qui dressa procès-verbal. Elle n’en dit rien à son mari qui reçut, le lendemain, la visite du huissier porteur d’un papier timbré. Comme Jean-Jean ne savait pas lire, il pria l’homme de loi de lui en faire connaître le libellé. Aux premiers mots qui concernaient une comparution en justice, Jean-Jean s’écria éperdu: "Ah mon Dieu. Comment a-t-on découvert cela ; même ma femme n’en savait rien. "L’huissier, déconcerté, s’enquit: "Que dites-vous là ? De quoi s’agit-il ? - "Mais des Renard, n’est-ce pas. Sadoz comprit bientôt son erreur, il voulut parler d’autre chose, mais, pressé de questions, menacé, anéanti, il révéla son secret.
La justice s’en mêla. Devant l’état de santé de Jean-Jean et à cause de l’alibi des Renard, les gens de justice restèrent perplexes.
Jusqu’au jour où des curieux visitèrent encore le ravin de Corneva. Le torrent était presque à sec. Au pied d’une cascade dans le bassin que les eaux formaient dans leur chute, on découvrit le corps de l’abbé Deleau la soutane était encore entourée de la hart de coudrier.
C’était le condamnation à mort des frères Renard.
Le 2 août 1780, la haute cour de Stavelot Malmedy (à laquelle ressortissait Hamoir comme faisant partie du comté de Logne) décrétait que les Renard seraient après supplices, attachés une croix de St André, pour y avoir avec une barre de fer, les bras, cuisses et jambes brisés, et après y avoir resté un quart d’heure sur icelle, étranglés, jusqu’à ce que mort s’ensuive, puis détachés et leurs cadavres tirés sur roue et y être attachés à la chaîne pour servir d’exemple aux bons et de terreur aux méchants.
Le lendemain, la sentence fut exécutée à Florihez près de Malmedy.